InterZones, concerts à Rennes PROGRAMMATION ARCHIVES CONTACT EXTRAZONE InterZones sur facebook
Dossier Vernon Reid

Faire le portrait d’un musicien tel Vernon Reid est une gageure tant le parcours de ce musicien est parsemé de multiples projets, de rencontres dans des styles souvent très divers. 
Jazz, blues, rock, rap, improvisation … tous ces styles semblent se fondre dans un vaste creuset où  ce guitariste atypique extirpe de larges pans pour les faire s’entrechoquer dans d’alchimiques expériences. Sa carrière recèle un grand nombre d’étonnantes participations, de collaborations (voir la discographie et les projets ) où son style reconnaissable entre tous se réinvente sans cesse.

L’apprentissage

Né le 22 août 1958 en Angleterre, il émigre avec sa famille deux ans plus tard à Brooklyn. Il étudie à l’université dans la section « Performing Arts » (métiers du spectacle ) avant de fréquenter à partir de 1978 la scène downtown de New York (le Mudd Club, le CBGB’s) avec Defunkt et de rejoindre la Decoding Society du batteur Ronald Shannon Jackson.

Les débuts

«J’ai commencé sérieusement à 16 ans. J’avais fait un petit semestre de conservatoire et j’avais eu quelques profs, mais bon surtout en jouant sur les disques. C’est une approche non orthodoxe d’improvisation, les gens disent que je joue à côté du rythme. Je me demande toujours ce qu’ils veulent dire par-là, que je n’ai pas un approche diatonique ? Je joue ce que j’entends dans ma tête. J’ai eu de super profs, comme Bruce Johnson ou Rodney Jones. Carlos Santana a été une grande influence, Jean –Paul Bourelly aussi (il est vraiment génial ), Hendrix aussi bien sûr, Alan Holdsworth, Georges Benson, Mike Stern, James Blood Ulmer, John Mc Laughlin, Steve Vai, …»
Up – Février 1993.

Un élément essentiel de sa personnalité musicale découle de son passage dans la Decoding Society du batteur texan Ronald Shannon Jackson et du concept musical cher à Ornette Coleman de l’harmolodie.

Haut de la page
Ronald Shannon Jackson et la Decoding Society, harmolodie, Ornette Coleman

«Ronald Shannon Jackson est un musicien extrêmement exigeant. Avec lui, je devais me livrer complètement, et me remettre constammment en question. Malgré les nombreuses périodes de doute que j’ai traversées au sein de Decoding, j’ai appris énormément de choses. Faire six albums avec Jackson et beaucoup de concerts, mes premières véritables tournées en fait, fut une expérience extrêmement enrichissante». Guitar & Bass n°30,juin 1996

« Jouer avec Shannon a été une expérience intense. J’ai beaucoup appris. Dans sa conception de l’harmolodie, très mélodique, très « chanson », il a toujours insisté sur un aspect : le blues. Shannon est une forte individualité, il suit son chemin. Les racines de Living Colour, mon ancien groupe, viennent de là. Sa musique, comme celle d’Ornette ou de James Blood Ulmer, est vraiment hors catégories. Même dans la tradition de l’avant-garde – l’avant-garde a une tradition, un tradition acoustique.
Comment définiriez-vous l’harmolodie ?
Vous êtes dans un magasin, et vous entendez, disons… de la musique du Moyen Orient. Un taxi passe : la radio crache du disco, et pendant quatre mesures les deux musiques coincident. Malgré les accords différents, elles en forment une troisième. C’est un peu la façon dont la musique hip hop fonctionne, tout en étant basée sur le rythme ce qui se passe sur sur le plan harmonique importe peu. L’harmolodie, c’est aussi pour moi des bruits, des choses qui ne sont pas directement rattachées à la musique, mais qui ont un contenu mélodique, harmonique ; c’est travailler avec plus de formes de musique. C’est de l’audio-Dada …
- Vous connaissez Ornette Coleman ?
- Je l’ai rencontré lors de séances d’enregistrements, et j’ai répété avec lui, pour le disque d’une chanteuse japonaise. C’est une haute figure. Il y a quelque chose dans le son d’Ornette Coleman qui est libre de toute machination de l’ego. Quand je l’entends jouer, je ne me sens jamais manipulé, je n’entends pas quelqu’un qui me dit : «   Croyez-moi ! ». Je ne l’entends même pas dire «  Je suis Ornette Coleman  » J’entends juste un son magnifique. » Jazzmag n°463, octobre 1996

Haut de la page
Living Colour

C’est en 1984 que Vernon Reid  forme Living Colour au départ sous la forme d’un trio. Puis rapidement le line-up  se fixe autour des quatre membres Vernon à la guitare, Corey Glover au chant, William Calhoun à la batterie, Muzz Skilling à la basse. Trois albums verront le jour : Vivid (1988), Time’up (1990), Stain (1993 avec l’arrivée à la basse de Doug Wimbish ) ainsi que de nombreux maxis («  Biscuits »,1991 avec notamment des reprises de James Brown, Al Green , Jimi Hendrix, des inédits et dans sa version japonaise des lives du groupe ; « Dread » (1993 ) maxi japonais avec des lives notamment des sessions acoustiques enregistrées lors d’un passage du groupe sur les ondes de la radio hollandaise) et une compilation Pride (1995) avec les 4 derniers titres enregistrés par Living Colour.

 «Living Colour était un groupe sauvage et étrange. Quand on se sentait libre, c’était formidable. Mais c’est devenu de plus en plus structuré, en partie à cause de moi. On s’est fait critiquer parce que nous jouions du hard-rock, mais peu de groupes de ce genre ont fait ce que nous faisions sur scène. Sur disque, il y avait les chansons. Sur scène, nous déconstruisions». Jazzmag n°463, octobre 1996

Parallèlement à cela Vernon Reid à participé à la création de la Black Rock Coalition avec le journaliste Greg Tate en 1983. Cette organisation a pour but de faciliter l’accès des musiciens  noirs dans l’industrie musicale.

La guitare

Son approche et son intérêt pour les musiques se traduit évidemment dans sa pratique de l’instrument. Ses préoccupations s’inscrivent autant dans la recherche de sons nouveaux au travers des effets (utilisation de la Whammy pedal, de la Space station Digitech, utilisation de nouveaux systèmes de guitares synthées) que dans la technique guitaristique proprement dite (son utilisation du tapping notamment n’est en rien comparable aux classiques plans heavy metal mais lorgne plutôt vers la musique électronique ou vers l’évocation des sons des films de science fiction).

«La guitare est un outil de valeur et c’est extraordinaire comme elle reste pertinente. Prenez les boucles de hip hop : les plus funky sont celles de la guitare. C’est un instrument qui a toujours sa place, mais qui doit sans cesse être redéfinie. C’est dans cette perspective que je me place. C’est pourquoi ce disque (« Mistaken Identity » se reporter à la discographie) est très différent de ceux réalisés par des guitaristes. Je ne postule pas à devenir un autre Joe Satriani, je le dis sans aucune connotation négative. Je veux être moi-même. Et si certains me perçoivent comme un guitar-hero, il s’agit encore d’un exemple d’identité erronée».
Vibrations, nouvelle série n°14 octobre/novembre 1996

Haut de la page
Théorie et style : une anarchie stylisée 

Son approche de la théorie musicale semble elle aussi atypique. L’intérêt qu’il lui porte, en tout cas , est guidé par le souci  de ne pas se laisser enfermer dans des schémas rigides et d’y trouver matière à expérimentation.

«Ce ne sont pas les connaissances théoriques qui feront de toi un musicien mais la façon dont tu vas les utiliser. La théorie est un ensemble de règles précises, à chacun de les bidouiller pour en faire ses propres règles. Certains musiciens ont une inhibition vis-à-vis de ces règles, et ne peuvent s’en éloigner, tout comme certains peintres réalistes pour qui l’objectif est de reproduire exactement un modèle existant. Ceux qui me fascinent sont les surréalistes, qui partent d'une réalité pour créer leur propre univers en modifiant une partie de cette réalité. Je considère la musique et la peinture d’un même point de vue. 
Tu peux faire quelque chose de quasiment parfait, avec les bonnes notes là où il faut, ou les couleurs, les ombres parfaitement en place, et obtenir un résultat irréprochable. Ce qui m’attire, c’est le détail qui n’a rien à faire là, que tu n’attends pas et qui va valoriser ce que tu fais en y apportant une touche unique».
« Quand tu veux écrire un morceau, tu te retrouves forcément dans une de ces situations. Soit tu suis la théorie, construis une progression d’accords logique et y ajoutes les gammes qui correspondent, c’est bon ça fonctionne, mais cela ne me suffit pas, soit tu construis une progression d’accords ou utilises des gammes allant à l’encontre de la théorie, ce qui est Wrong, mauvais. Dans ce cas, soit c’est totalement inaudible et ne fonctionne pas, et laisses tomber, soit tu te retrouves avec quelque chose qui va sonner, peut-être bizarrement, mais cela fonctionne. C’est ce qui m’intéresse ; « it’s wrong, but it works ». Voilà ce qui me passionne dans la composition et l’utilisation de la théorie, en briser les règles pour obtenir de nouvelles sonorités. Après il suffit de trouver le bon dosage, ne pas en faire de trop pour que ces «surprises» gardent tout leur impact».
Guitar & Bass n°30,juin 1996

Haut de la page

«Je viens du blues et du rock et j’ai débuté avec Shannon Jackson. Puis j’ai commencé à utiliser des gammes différentes en la matière mais ma grande inspiration c’est Joe Dioro, un grand guitariste de jazz qui a introduit le glissement chromatique et l’octavie. Au lieu de jouer des séquences chromatiques tu joues une note puis la suivante, tu la joues une octave plus haut ou plus bas et  tu fais pareil pour les suivantes. Ca devient beaucoup plus angulaire, heurté, cassant et les intervalles sont plus larges. De la même façon au lieu de jouer des gammes pentatoniques il joue ton sur ton et il utilise des gammes demi-diminuées. Je me suis servi des chromqtiques sans pour autant monter et descendre sans arrêt, charger de direction et sauter des cordes … J’essaie d’improviser de ne pas construire mes solos. J’ai joué du jazz pendant longtemps et les gens me demandent pourquoi je joue telle ou telle note alors que je veux développer un style. Je n’aime pas ce qui est conventionnel».
Guitar World n°46,

Ces conceptions théoriques et cette recherche de style ne saurait masquer l’importance dans son jeu et dans ses compositions de l’improvisation et du rock : ceux qui l’on vu lors de son passage au Hot Brass à Paris en novembre 1996 seront certainement d’accord avec cette affirmation.

«… J’adore définitivement l’énergie brute du rock, ce côté « kick out the jams, motherfuckers !». J’ai pour seule philosophie de répondre à ce que requiert l’instant. Quant à savoir si je joue à l’intérieur ou à l’extérieur de l’accord, c’est comme les gens qui parlent de valeurs familiales, ça ne veut absolument rien dire. L’instinct prime, la technique ne sert qu’à exprimer l’émotion dans l’instant. On peut toujours envisager des choses de façon conceptuelle. Une autre est de se rendre réceptif à ses émotions les plus vraies pour qu’elles s’engouffrent dans la brèche».
Rock & Folk n°  , août 1996

Emotions, technique, énergie, connaissances… des éléments fusionnant déjà dans la marmite Living Colour et qui suivent toujours un  musicien doté d’autant de dreadlocks sur la tête que de cordes à sa guitare. Désormais, il œuvre en solo («  Mistaken identity »,1996 ; «  This Little Room »,2000) ou collabore avec  de nombreux musiciens (tel que David Torn et Elliot Sharp entre autres) multipliant les projets.

Emmanuel Perron

Page suivante : les Projets solos de Vernon reid

 
© 2001-2023 Association InterZones